Amandine Labrune... La vie en accélérée
Ne pas se fier à son allure chic et calme des beaux quartiers de la rive droite. Déjà, sa voix douce au débit ultra rapide trahit son impatience chronique. Comme si elle était née dans des starting blocks, Amandine Labrune est une femme pressée. Pressée parce qu’elle aime que les choses aillent vite. Pressée parce qu’une vie ne suffira pas à mettre en oeuvre toutes les idées qui se bousculent en elle. « J’adore monter des projets, les voir naitre, les accompagner, les aboutir… et tout particulièrement, ce moment de la page blanche où tout reste à créer. »
« J’adore monter des projets, les voir naitre, les accompagner, les aboutir… et tout particulièrement, ce moment de la page blanche où tout reste à créer. »
© Bruno Ripoche
Famille d’artistes
Créer. Il n’aura pas fallu plus de quelques secondes pour que le mot soit lâché.
La création comme fil rouge et carburant, comme préambule et finalité à toute chose. C’est qu’ Amandine est une artiste : de manière presque atavique tant sa lignée familiale résonne d’histoires qui toutes ont quelque chose à voir avec l’audace, la liberté, et où le goût du beau se transmet comme un passage de relais.
Son grand-père Georges Martin, à la fois ébéniste (diplômé de l’école Boulle) et reporter photographe (appartenant à la petite troupe humaniste des Robert Doisneau et Sabine Weiss) ; sa grand-mère Claude Saint-Cyr, modiste star des années 50 qui pouvait se targuer d’avoir pour cliente la duchesse de Windsor et Christian Dior, alors dessinateur, comme prestataire ! ; sa maman, Christine, styliste puis fondatrice d’une agence de relations presse ; son père Jacques, patron d’une des premières agences de graphisme : « C’est vraiment lui qui m’a inspiré ce métier. Enfant, je me glissais dans son bureau, c’était magique de le voir travailler. » ; sa soeur, Myrtille, céramiste aux doigts de fée…
N’en jetez plus, le talent, décidément, est gravé en lettres d’or dans l’ADN de cette famille : « L’art et l’esthétique ont toujours été mes fils conducteurs : c’est ma culture, mon éducation et ma passion, ce qui me guide et ce vers quoi je reviens toujours. »
« L’art et l’esthétique ont toujours été mes fils conducteurs : c’est ma culture, mon éducation et ma passion, ce qui me guide et ce vers quoi je reviens toujours. »
La vie comme laboratoire créatif
À Penninghen, illustre école parisienne d’arts graphiques dont elle sortira diplômée, elle se rêve photographe : « Je me souviens d’une prof, Agnès Propeck, qui m’a transmis sa passion et surtout son immense culture photographique. » Mais c’est finalement vers la création graphique qu’elle s’oriente, déroulant son parcours en mode rapide, toujours avec une longueur d’avance, et jamais très loin du monde de l’image.
Une agence photo baptisée Review Agency destinée à « montrer le travail des photographes que l’on ne verrait jamais dans le format forcément limité des galeries ou des expositions », une maison d’édition de livres de cuisine pour tout petits (Le goût des mots), bien avant la folie food, dont la matrice légendaire était l’ouvrage culte de Michel Oliver dessiné d’une main d’enfant. Ou encore la réédition des jouets en bois de son grand-père (la fameuse collection Dad présente dans les collections du Musée des Arts Décoratifs), ce bestiaire en bois laqué au style plus contemporain que jamais.
Hommage encore à son grand-père quand elle décide il y a deux ans de valoriser son fonds photographique (voyez le site qui lui est dédié : https://georgesmartin.com/ ) : « Sur les 20 000 clichés qu’il nous a laissés, j’en ai sélectionné 400, vendus à présent en tirages d’art et en galeries. »
Car s’il est une idée fixe autour de laquelle se tisse la toile d’Amandine, c’est celle de la transmission d’un savoir-faire, et de l’histoire que l’on raconte pour qu’elle ne s’oublie pas. C’est ce qui la retiendra chez Christofle où elle passera – fait rare dans son parcours d’entrepreneuse – 3 ans en tant que directrice de création, chargée de développer tous les supports de communication de la marque.
Amandine y comprend très tôt que pour éclairer le présent, il convient de regarder en arrière, et que le vrai patrimoine des marques, en plus de leur artisanat propre, c’est dans leur histoire (la grande mais aussi les petites) qu’il repose : « J’adore fouiller les archives, retrouver de vieilles illustrations. Et quand il n’y a pas d’histoire, j’aime l’idée d’en créer une en partant de zéro ! »
Esprit d'épure et simplicité
C’est ce qui lui permet, à travers l’agence de création graphique Studio 421 qu’elle a fondée il y a 22 ans, de tisser des liens durables avec ses clients venus pour la plupart de l’univers du luxe, et qui apprécient son attachement au passé, la précision de son regard, son oeil photographique, et ses orientations souvent minimales : « Je suis très inspirée par la philosophie japonaise où le blanc prend plus de place que le noir » dit-elle.
Le secret de ses créations réside précisément dans cette simplicité d’approche, « à l’opposé du remplissage, où peuvent se déployer le silence, le blanc, la respiration ». Cet esprit d’épure, gage d’élégance et d’intemporalité, irrigue chacun de ses travaux, qu’il s’agisse d’un logo, d’une charte graphique, d’un site internet, d’une identité de marque ou d’une brochure imprimée, son seul regret étant que le numérique supplante peu à peu les beaux papiers et l’imprimerie. « L’essence même de mon métier, dit-elle encore, c’est d’apporter des solutions aux problèmes que l’on me pose, et de faire en sorte que les choses qui ne l’étaient pas à première vue deviennent simples. » Amandine n’impose rien, avec elle on parle, longtemps, et l’on s’accorde sur une esthétique.
Et c’est ainsi que chemin faisant, s’enchainent les projets, comme si la vie devait s’envisager telle une course de saut de haies ou un laboratoire rempli de tubes à essai dans lequel aucune idée ne devrait être éliminée d’emblée. Essayer plutôt que regretter, voilà le mantra de cette fille insatiable aux yeux couleur de ciel : « Certains mettent beaucoup d’énergie à se battre contre les choses, moi je préfère me battre pour. J’ai souvent sacrifié mon confort de vie à cette exigence-là mais croyez-moi, le jeu en vaut la chandelle ! »
Merci à :
Marie Lannelongue pour l’écriture de ce portrait
Bruno Ripoche pour la photo